1 607 heures : le Conseil constitutionnel va tranche

Par une décision du 1er juin, le Conseil d’État a décidé de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, posée par quatre communes du Val-de-Marne, portant sur des dispositions sur le temps de travail issues de la loi du 6 août 2019. Le Conseil devra rendre sa décision dans un délai de trois mois.

La question de savoir si les maires peuvent décider, au nom du principe de libre administration, du temps de travail de leurs agents, va finalement être étudiée par le Conseil constitutionnel. Ainsi en a décidé le Conseil d’État, ce qui était loin d’être acquis.

Petit à petit, le dossier des 1607 heures de travail dans la fonction publique fait son chemin dans la hiérarchie de la justice administrative : elle va maintenant arriver sur la table de la plus haute juridiction, le Conseil constitutionnel.

Rappel des épisodes précédents

On parle ici du fameux article 47 de la loi de transformation de la fonction publique, qui n’en finit pas, depuis trois ans, de créer des contentieux entre certaines collectivités et le gouvernement. Cet article de la loi du 6 août 2019 impose aux collectivités, dans un délai donné, de délibérer pour mettre fin aux régimes dérogatoires en matière de temps de travail de leurs agents – ce qui revient à les obliger à appliquer la durée du travail fixée par la loi dans l’ensemble de la fonction publique, soit 1607 h par an (35 h par semaine). Cette délibération devait être prise avant le 1er janvier 2022.

Or un certain nombre de communes – le plus souvent dirigées par des équipes PCF ou Front de gauche – estiment que cette loi constitue une « régression sociale »  et refusent d’appliquer ces dispositions. C’est le cas, notamment, dans plusieurs communes de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.

Au début de l’année, les préfets n’ont pas tergiversé – sur instruction expresse de celle qui était alors ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin – et ont déféré les maires réfractaires devant les tribunaux administratifs, pour que ceux-ci ordonnent aux maires de prendre la délibération prévue par la loi et la fassent appliquer.

En Seine-Saint-Denis (lire Maire info du 1er février 2022), le tribunal administratif a suivi le préfet et ordonné aux cinq communes incriminées de « veiller à l’adoption des délibérations fixant le temps de travail de leurs agents et de les transmettre au préfet de la Seine-Saint-Denis, dans un délai de quarante jours ». Le tribunal a toutefois refusé d’assortir cette décision, comme le demandait le préfet, d’une astreinte financière.

Autre tribunal, autre décision

Dans le Val-de-Marne, le scénario a été tout autre : ce sont là dix communes et EPCI qui ont été déférés par le préfet devant le tribunal administratif de Melun (déféré-suspension), qui s’est montré bien plus souple que celui de Montreuil : les juges ont estimé que pour la moitié des communes et EPCI incriminés, un processus de réforme du temps de travail était bien « engagé »  et qu’il fallait lui laisser le temps d’aller à son terme. Pour cinq autres, le tribunal a reconnu qu’il y avait bien un refus « caractérisé »  et assumé des maires de ne pas appliquer la loi. Mais au lieu d’imposer que la délibération soit prise sous un mois, comme demandait le préfet, le tribunal leur en a donné quatre.

Mais, plus important, le tribunal administratif a suivi les maires qui posaient la question de la compatibilité de cette loi avec le principe de libre administration des collectivités locales. Avec un argument déjà brandi en Seine-Saint-Denis, par exemple, par le maire de Montreuil Patrice Bessac : « Au nom de la libre administration des collectivités territoriales nous ne souhaitons pas nous laisser dicter le rythme de travail de nos agents. »

De façon plutôt inattendue (lire Maire info du 7 mars 2022), le tribunal administratif a estimé que cette question « n’était pas dépourvue de caractère sérieux »  et a accepté de la transmettre au Conseil d’État sous forme de QPC (question prioritaire de constitutionnalité).

Rappelons la procédure : depuis la réforme constitutionnelle de 2008, toute personne physique ou morale peut remettre en question la conformité à la Constitution d’une disposition législative déjà votée et promulguée. La question est tranchée en trois étapes : première étape, un tribunal administratif doit accepter de poser la QPC au Conseil d’État – c’est ce qu’a fait le tribunal administratif de Melun le 3 mars. Le Conseil d’État a alors trois mois pour prendre la décision de transmettre à son tour la question au Conseil constitutionnel. S’il refuse de le faire, l’affaire est terminée, car cette décision est sans appel. S’il l’accepte et transmet la QPC aux Sages, ceux-ci auront à nouveau trois mois pour trancher.

QPC transmise

C’est la deuxième étape qui a été franchie en fin de semaine dernière, presque à la fin du délai légal : le Conseil d’État a estimé que la question méritait d’être posée au Conseil constitutionnel, ce qui constitue une petite victoire pour les maires des communes du Val-de-Marne concernés.

Dans une décision rendue le 1er juin, la section du contentieux du Conseil d’État a rappelé que les maires concernés soutiennent que « l’article 47 de la loi du 6 août 2019 (…) méconnaît le principe de libre administration des collectivités locales garanti par l’article 72 de la Constitution ». Et que de son côté, l’État, représenté par le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, considère que cette question « ne présente pas un caractère sérieux ».

Le Conseil d’État n’est manifestement pas d’accord avec le gouvernement sur ce point : dans sa décision, il estime que l’argument selon lequel cet article 47 « porte à la libre administration des collectivités territoriales et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée que ne justifierait aucun motif d’intérêt général »  pose une vraie question, sérieuse donc et « nouvelle ».

Les magistrats ont donc transmis cette question au Conseil constitutionnel – qui devra statuer, définitivement cette fois, d’ici au 1er septembre prochain.

La réponse du Conseil constitutionnel sera d’une grande importance, puisqu’elle permettra une fois pour toute de trancher sur le fait que les maires puissent, ou non, organiser à leur guise le temps de travail dans la fonction publique territoriale, sans être obligés d’appliquer strictement les règles valables pour la fonction publique de l’État.

https://www.maire-info.com/fonction-publique-territoriale/1607-heures-dans-la-fonction-publique-territoriale-conseil-detat-reconnait-quune-question-constitutionnalite-se-pose-article-26491

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