Dans une étude publiée début janvier 2022, l’Observatoire syndical de la fonction publique territoriale examine l’impact de la crise sanitaire sur les agents des villes et des EPCI. Le Covid-19 aurait accéléré la mutation de la fonction publique territoriale, en matière d’exercice de la fonction, de statut et de démocratie sociale interne.
Dégradation des conditions de production du service public local, limitation du caractère protecteur du statut des agents, décomposition de la démocratie sociale interne : la crise du Covid-19 a entraîné un « modèle de gestion des villes low-cost », selon deux chercheurs de l’Observatoire syndical de la fonction publique territoriale (OSFPT). Des mutations déjà en cours auparavant, que la crise sanitaire aurait accélérées et amplifiées, alors même que les agents territoriaux se sont attelés à assurer la continuité du fonctionnement urbain pendant les confinements.
Les chercheurs pointent notamment le recours massif au télétravail – ne concernait qu’une collectivité territoriale sur dix avant la crise – , devenu majoritairement féminin et qui a exacerbé les différences entre catégories. Ainsi, par exemple, 53 % des cadres A, 49 % des cadres B, mais seulement 10 % des agents de catégorie C des Administrations territoriales rémoises (ATR), y ont accès. Toutefois, avant la crise sanitaire, une paralysie progressive de l’action managériale et un décalage croissant entre les actions de terrain et le discours institutionnel des politiques et du management avaient déjà pu être observées. Mais le confinement a aussi conduit à une forme distanciée du management, et les cadres n’ont pas reçu le soutien organisationnel qu’ils attendaient.
Outre une dégradation de leur santé, la perte de sens du travail des agents de la FPT a également été renforcée par la crise. Celle-ci a « mis en lumière des processus structurels existant depuis des décennies » : instabilité du paysage institutionnel (loi Maptam, loi NOTRe, fusion des intercommunalités, projet de loi 3DS…), ainsi que des difficultés de recrutement qui posent la question même du devenir du service public.
Alors même que la crise sanitaire, qui a fortement impacté les salariés du privé, démontrait le caractère protecteur du statut de la fonction publique territoriale (FPT) pour maintenir rémunérations et emplois, elle a été l’occasion d’une récriture partielle du droit de la FPT et donc de son statut. L’ordonnance n° 2020-430 du 15 avril 2020 permet d’imposer jusqu’à 10 jours de congés ou de RTT, en substitution du télétravail et des autorisations spéciales d’absence (ASA). Près d’une collectivité sur cinq l’a imposé à ses agents, avec une durée moyenne de 5 jours.
Bien que les agents municipaux et communautaires aient assuré la continuité des services publics permettant aux villes de fonctionner, leur protection statutaire ne cesse de s’amoindrir, en particulier par la loi Dussopt du 6 août 2019 : augmentation du temps de travail, banalisation du recours aux contractuels, mise en place de la rupture conventionnelle… » Ces mutations profondes renvoient conséquemment à la question de la démocratie sociale au sein de la FPT », expliquent les chercheurs. Ils rappellent que le climat social, déjà dégradé avant le Covid, n’a jamais été aussi mauvais, sous la double influence de la loi Dussopt et de la crise. La loi de 2019 permet de ne plus consulter le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, unique instance nationale de dialogue social, dès lors qu’un projet de loi ou de décret présente un lien avec les autres versants de la fonction publique.
Avec la crise, des réunions d’abord informelles, puis dématérialisées ont remplacé les réunions statutaires des instances paritaires de représentation des personnels, en premier lieu des comités techniques (CT) – qui disposent d’une compétence générale sur l’organisation du travail -, empêchant tout véritable dialogue social. La loi supprime les comités d’hygiène et de sécurité des conditions de travail au 1er janvier 2023, mais « certains employeurs ont eu tendance à les effacer sans attendre » au cours de la crise. Sans compter que la limitation du droit de grève dans certains services publics locaux, elle aussi prévue par la loi Dussopt, « se conjugue avec la limitation des réunions d’informations syndicales » (voire leur interdiction) et la circulation des représentants syndicaux dans les services, pour raisons sanitaires.
Cette recherche sera présentée prochainement lors du colloque international « Ville et Covid », organisé par le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle de l’université d’Oran (Algérie).
Marie Gasnier