Après plus d’une année de confinement, dans quel état sont les salariés Français ? Selon le 7e baromètre d’OpinionWay pour le cabinet Empreinte humaine, de nombreux travailleurs disent ne pas vouloir revenir au travail comme avant alors que le nombre de burn-out lui explose. Pour mieux comprendre les besoins psychiques des salariés français, Cadre Averti interroge cette semaine Christophe Nguyen, Psychologue du Travail à l’origine de cette enquête.
Comment évolue l’état psychologique des salariés français ?
Christophe Nguyen : En un an, il y a eu des variations en fonction de la dureté des confinements. Aujourd’hui, près de 50% des salariés sont en détresse psychologique et le nombre de burn-out a lui doublé. Les managers sont parmi les plus exposés et particulier les dirigeants de PME. Les femmes et les jeunes de moins de 29 ans sont également plus exposés que la moyenne. C’est encore plus difficile pour les parents salariés qui doivent télétravailler après trois confinements, le temps est long. On constate aussi une dégradation de l’état psychologique des personnes qui cherchent un emploi en raison de la difficulté à se projeter dans l’avenir qui reste très incertain.
Qu’est-ce qu’un burn-out ? Comment se déclare-t-il ?
Christophe Nguyen : Le burn-out est un syndrome qui regroupe un certain nombre de manifestations, c’est un processus et non un état, qui s’installe dans le temps. Il se manifeste par un sentiment émotionnel intense, un émoussement des émotions, et la difficulté d’enchaîner les tâches à effectuer. Il y a une forme de déshumanisation. Les clients sont vus comme des tâches à accomplir. On a le sentiment que ce que l’on fait ne sert à rien, qu’on est pas au niveau et on a des difficultés à s’accomplir. On voit également beaucoup de stress dit chronique, en cas d’atteinte du point de rupture, il y a un écroulement psychologique de l’individu. Ce syndrome peut aboutir à une dépression, des troubles anxieux, des phobies, un stress PTSD (syndrome de stress post traumatique) ou encore à un épuisement prolongé. Le fait de repenser au travail peut conduire alors à un état de panique.
Pourquoi les taux de burn-out et d’épuisement sont-ils à la hausse ?
Christophe Nguyen : Le travail s’est fortement dégradé depuis le début de la crise avec des périodes très intenses dans un climat anxiogène. Le télétravail a été improvisé, les salariés ont été désorganisés avec des sollicitations permanentes, l’absence de moyens pour contrôler leur environnement de travail, de fortes amplitudes horaires et une charge de travail croissante. Le télétravail aurait dû permettre plus de temps pour soi mais le temps de transport a été remplacé par les réunions sur Zoom. Quand on interroge les salariés, il y a une forte perte de sens au travail. On demande toujours plus de reportings, mais les salariés n’obtiennent de moins en moins de retours, ce qui conduit à un manque de reconnaissance, ce qui était moins le cas avant la crise. Les managers sont frustrés de ne pas pouvoir jouer leur rôle de managers de proximité. Ils ont l’impression d’être « empêchés » de bien travailler. Tout ceci concourt dans le temps à créer une forme d’épuisement général avec une grande difficulté à récupérer psychologiquement.
Quels sont les effets du télétravail dans la durée ?
Christophe Nguyen : Les salariés sont soumis à des circonstances inéluctables quant aux conditions physiques du télétravail, présence des enfants, un espace de travail mal défini. Si tous les métiers ne sont pas propices au travail à distance, ce dernier repose nécessairement sur la confiance du manager envers ses collaborateurs. On observe ainsi des effets positifs sur la productivité à court terme, on est plus efficace, moins dérangé par le temps de trajet. Aujourd’hui, on est dans une situation de télétravail imposé, prolongé depuis un certain nombre de mois, sans voir ses collègues, il y a une perte de la dimension relationnelle. À long terme, cette dégradation des relations humaines est susceptible d’annuler les effets positifs notamment à cause de la perte de l’esprit d’équipe. Une des solutions serait de mettre en place un modèle hybride pour sauvegarder le télétravail tout en garantissant à la fois le collectif et une meilleure productivité.
Le confinement avec les enfants a-t-il eu un impact plus fort sur les hommes ou les femmes, ou bien ce facteur n’a pas d’effet ?
Christophe Nguyen : C’est un facteur majeur pour tous les parents salariés et surtout pour les femmes. De façon sociétale, les femmes ont toujours été plus dévolues à l’éducation des enfants. Toutefois, les familles qui sont les plus concernées sont celles avec des enfants en bas âge et moins celles avec des ados car ces derniers sont plus aptes à s’occuper d’eux-mêmes. Lors de ce troisième confinement les enfants ont pu aller à l’école, les parents télétravailleurs se sont trouvés globalement moins pénalisés.
Quelles sont les attentes des salariés vis-à-vis des entreprises dans le cadre d’un retour à la « normale » ? Doit-on s’attendre à ce que tout soit « comme avant » ?
Christophe Nguyen : Au contraire, de nouvelles attentes ont été créées, liées à la crise sanitaire traumatogène. Les salariés veulent passer plus de temps avec leur proches. Ils se sont rendus compte qu’il y avait beaucoup de process en entreprise qui se sont avérés inutiles en situation de télétravail, les télétravailleurs savent désormais le type de management qui doit être sain pour eux. Il y a un gros travail de reconstruction à faire pour recréer un collectif du travail et renouer avec un sentiment d’appartenance au sein des organisations. Il faut repenser en profondeur l’organisation du travail notamment les tailles des équipes car il est difficile de manager 30 personnes à distance. Enfin pour certains salariés la question de changer de métier se pose, elle s’impose même à certains qui ont particulièrement mal vécu cette période.
Est-ce que les managers ne risquent pas d’être encore plus exposés dans les prochains mois ?
Christophe Nguyen : Avant la crise, les managers étaient moins impactés par les problèmes de santé psychologique, car ils avaient beaucoup de soutien et de reconnaissance de l’entreprise. Maintenant, la situation s’est dégradée. Il y aura un retour à la normale progressif. Cela nécessite un accompagnement de l’état psychologique des salariés, c’est une étape qui peut conduire à une charge mentale pour les managers. De retour dans les locaux, il faudra passer du temps avec les salariés pour reconstruire un collectif.
Finalement quelles sont les actions que les entreprises doivent prendre pour anticiper l’état psychologique des salariés mais aussi pour atténuer les risques ?
Christophe Nguyen : Un état des lieux des entreprises est nécessaire. La détresse des salariés est maintenant transformée en problème de santé. Il faut penser le télétravail pour qu’il devienne plus collectif, renforcer le dialogue avec tous les collaborateurs. On peut mesurer la portée des dispositifs mais aussi les séquelles de la crises grâce à des questionnaires auprès des salariés pour sonder leur état d’esprit, les amener à participer pour faire le bilan de cette situation, etc. Il est également essentiel de former les salariés et notamment les managers pour mieux détecter et anticiper les problèmes psychologiques qui sont souvent mésestimées. Les managers doivent par exemple s’engager à faire des points individuels avec leurs collaborateurs. Le retour dans les locaux ne va pas chasser tout ce que les gens ont vécu. Il faudra encore plus d’écoute, d’empathie et d’humanité. En somme, l’entreprise doit jouer son rôle de prévention et d’accompagnement auprès de ses équipes.
source: https://www.cadreaverti-saintsernin.fr/actualites/taux-burnout-preoccupant-126.html