Carton rouge au gouvernement, par Natacha Pommet

 

 

Carton rouge au gouvernement 1er février 2020

 

Intervention Natacha POMMET, secrétaire de la fédération CGT des services publics

 

Parmi les développements de l’offensive contre-révolutionnaire que nous subissons depuis 40 ans, la loi de transformation de la Fonction publique peut signer l’acte de décès définitif de notre République sociale.

Afin de bien appréhender les ressorts de ce qui vient d’être posé, je vous demanderai de partir des constats historiques suivants, dont je ne doute point de leur potentialité en termes de débats…

Primo) Si les missions de l’Etat ont été profondément réorientées au profit de la population durant la période 1946-1986, c’est notoirement grâce à l’action des travailleurs du secteur public, attachés à traduire dans les faits le programme du Conseil national de la résistance.

Deuxio) Si la nature et la qualité du service public produit durant ces décennies a été  intrinsèquement liée au statut des producteurs, c’est que la mise en question perpétuelle de l’action publique était rendue possible par un statut créé sur mesure pour la démocratie sociale.

Dès lors la bourgeoisie, avide de restaurer un Etat croupion, hyper centralisé et confiné aux missions dites régaliennes de maintien de l’ordre social, peut-elle se contenter de mesures massives d’austérité pour détricoter et vider de sa substance l’Etat social ?

 

Le moment Macron nous démontre très tôt le contraire. Et pas qu’En Marche, mais au pas de course !

Dès mai 2019 il déclare déjà vouloir remplacer les hauts fonctionnaires récalcitrants pour le mois suivant. Car il faut commencer par la tête si l’on veut que les contre-réformes, commandées par la commission de Bruxelles et formalisées par la commission Attali, soient entamées avant le milieu du quinquennat.

Quant à ce qu’il définit par la masse des échelons subalternes, inutile d’y aller au cas par cas. C’est par la disparition du Statut du fonctionnaire que Macron compte agir. Là encore, comme pour le reste de son « nouveau monde », il s’agit de recycler une vieille lune de la droite classique : le retour du fonctionnaire sujet en lieu et place du fonctionnaire citoyen.

 

Le Statut de fonctionnaire repose sur trois principes que le projet de transformation de la Fonction publique remet largement en cause :

 

Le principe d’égalité

 

O En favorisant largement le recrutement de contractuels y compris pour des missions permanentes, le gouvernement entend banaliser le non titulariat en laissant le choix à un gestionnaire de personnel devenu employeur, comme dans le salariat capitaliste.

 

O La mise en place du salaire au mérite : avec un point d’indice gelé depuis près de 10 ans, une part des primes dans la rémunération qui atteint déjà près de 30%, les éléments sont déjà en place. Par l’individualisation du salaire, directement lié au travail concret, la notion de travail collectif, primordiale en matière de Services publics, est niée.

 

O En vidant les instances représentatives du personnel de leurs prérogatives le gouvernement entend mettre fin au déroulement de carrière linéaire auquel tous les agents ont droit. C’est la négation d’une qualification qui s’acquiert tout au long d’une vie de travail.

 

 

Le principe d’indépendance

 

Issu d’une loi qui avalise le principe de séparation du grade et de l’emploi, il affirme l’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du pouvoir politique et de l’arbitraire. Garantissant ainsi le fonctionnaire et le Service public, il protège tous les fonctionnaires, quel que soit leur grade.

 

O En généralisant l’emploi d’agents hors statut le gouvernement entend mettre à disposition du pouvoir politique des salariés désarmés face à l’arbitraire. Les fonctionnaires et notamment les cadres seraient révocables sans délais, sans formalité et sans aucune garantie : remplacer les serviteurs de l’Etat par des serviteurs du pouvoir en place. L’histoire a déjà démontré les affres d’un tel système et dans le contexte politique actuel ce point-là établit encore une fois s’il le fallait les dangers pour la démocratie contenus dans cette loi.

 

Le principe de responsabilité

 

Ce principe prévoit que la société est en droit de demander des comptes à tout agent public de son administration.

 

O En fragilisant l’agent public par divers dispositifs, rupture conventionnelle de contrat, contrats de projet, le gouvernement souhaite disposer de boucs émissaires formés aux méthodes d’organisation du secteur capitaliste, faciles à désigner à la vindicte populaire en cas de grogne sociale. Il veut des fonctionnaires fusibles (exemple du préfet de police de Paris).

 

Transformer des cadres assujettis en bras armés du pouvoir politique, dans un contexte d’austérité budgétaire reviendrait à transposer le système d’Orange à la Fonction publique dans une vision uniquement pyramidale des ressources humaines.

 

La gestion des organisations par ce prisme tend à faire des cadres de la fonction publique des « Cost Killer » sommés de réduire les moyens de fonctionnement du Service public. Réduire le personnel, désorganiser les collectifs de travail, fonctionner par objectifs dans le cadre de l’évaluation annuelle, bref tous les outils mis en place depuis quelques années sont confortés et généralisés dans le projet de loi.

 

À travers cette loi le gouvernement, avec le soutien de la frange la plus réactionnaire des employeurs, en a profité pour attenter au droit de grève des fonctionnaires territoriaux. Le cœur de la démocratie sociale (ou ce qu’il en reste) s’en verrait littéralement débranché.

 

Cette volonté confirme que les chiffres officiels habituellement communiqués et présentant des taux de grévistes ridiculement bas dans la Fonction publique territoriale n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité.

 

Cette loi du 6 août est venue compléter et même parachever toutes celles qui ces 15 dernières années ont désorganisé les services publics : RGPP, MAPTAM, RCT, NOTRE ont consisté à soumettre les services publics à la libre concurrence et à adapter les territoires et le monde du travail aux logiques libérales imposées par l’Europe.

 

Après l’État, l’hôpital,  c’est maintenant au tour des collectivités locales et de la Fonction Publique Territoriale d’être la cible privilégiée de l’austérité budgétaire. Après avoir servi d’amortisseur de son propre désengagement pendant trente années, les Collectivités Territoriales deviennent de plus en plus la variable d’ajustement de l’État.

Elles ne peuvent déjà plus mener convenablement leurs missions de services publics pour la satisfaction des besoins des populations. Les services publics de proximité sont des acteurs déterminants dans l’équilibre rural/urbain essentiel dans notre pays. Avec la multiplication des fermetures de services publics, nous assistons à l’abandon pur et simple des territoires ruraux au profit de la métropolisation du territoire. L’urbain est également touché par le manque de proximité et de moyens.

 

Les maisons de service au public ou demain, les maisons France Service ne sont qu’un leurre destiné à faire rentrer des services privés dans le giron du public et à transformer les usagers en clients.

 

Ces casses du code du travail, du statut des électriciens gaziers, des cheminots, des fonctionnaires, de notre système de retraite, de l’assurance chômage poussent indubitablement à une individualisation et à une caporalisation de la société. Elle est là l’urgence de la situation.

 

Si je reprends le sous-titre du débat « comment continuer ensemble les luttes contre le chacun seul, comment augmenter nos forces les  uns, les autres », la syndicaliste que je suis a une réponse précise : après ce constat, ne comptez pas sur moi pour une conclusion fataliste, la CGT a toujours porté à travers ses repères revendicatifs un projet de société alternatif, sans omettre que l’intérêt de nos échanges aujourd’hui est de porter haut et fort un autre projet de société, de le faire connaître, qu’il soit partagé afin qu’enfin nous nous battions pour conquérir et non plus pour conserver

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