«Le métier d’animateur tend depuis cinq ans à fortement se précariser», LIbération

 

Il suffirait donc de traverser la rue pour trouver un boulot ? Voilà donc un discours, du chef de l’Etat, proche de celui du patronat, qui depuis des mois, ressasse ses «difficultés à embaucher». Tour d’horizon des métiers dits en tension, où l’offre ne rencontre pas toujours la demande.

Voici un autre secteur où les places sont nombreuses, selon les données de Pôle Emploi : celui de l’animation socioculturelle. En 2018, l’agence y a enregistré 85 332 projets de recrutements professionnels. Ce qui place la profession d’animateur, que cela soit dans le champ social, culturel ou encore sportif, en quatrième place du top 10 des métiers les plus recherchés cette année. Et cela devrait continuer. «Soutenu par une augmentation de la population d’âge scolaire et par une demande croissante pour les activités de loisirs, leur nombre devrait continuer à progresser, de l’ordre de 0,8 % par an», d’ici 2022, selon France Stratégie, organisme rattaché au gouvernement. Soit 29 000 emplois supplémentaires sur dix ans, entre 2012 et 2022.

Nul doute que la réforme des rythmes scolaires, en 2014, avec la mise en place de la semaine de cinq jours et le développement du temps périscolaire, a joué sur la croissance de l’emploi du secteur au cours des dernières années. Non sans poser quelques problèmes à certains endroits, selon le centriste Jean-Paul Amoudry. A l’époque sénateur, ce dernier attirait alors l’attention du gouvernement sur le sujet. «De très nombreuses communes connaissent les plus grandes difficultés de recrutement d’animateurs ou d’encadrants pour assurer l’accueil des enfants pendant le temps d’activités périscolaires», expliquait-il.

Côté salariés, les conditions de travail n’ont pas été épargnées par la réforme. Cette dernière «a pu avoir une influence […] avec des recrutements sur de faibles volumes horaires et un temps de travail journalier fractionné», note une étude des services de l’Etat, en Bourgogne.

«Corvéables à merci»

Pas étonnant que toutes les offres ne trouvent pas preneurs, estime Malik Ghersa, animateur du collectif filière animation de la CGT. Selon lui, la profession manque de valorisation et de moyens, alors qu’elle «assure pourtant une mission de service public, celle de l’éducation populaire ». Résultat : le secteur ne peut offrir que des petits salaires, avec «des temps de préparation, de réunion qui ne sont pas payés» et des journées fragmentées. «En périscolaire, on commence tôt à 7 h 30, puis on a une coupure jusqu’au temps du déjeuner et on reprend ensuite après les cours, pour finir à 19 h», raconte le cégétiste. Et d’ajouter : «Les gens sont corvéables à merci et s’ils ne veulent pas l’être, on ne renouvelle pas leur contrat.»

Paroxysme pour lui de cette situation de précarité : le contrat d’engagement éducatif (CEE) proposé aux animateurs qui travaillent dans des accueils collectifs de mineurs, par exemple, des centres de vacances. Ce dernier déroge sur plusieurs points au droit du travail. Sur son site, le gouvernement détaille : «La rémunération par jour de l’employé ne doit pas être inférieure à 2,2 fois le montant du smic horaire, soit au moins 21,74 €.» Bien loin du smic horaire des contrats classiques, donc.

En 2016, la CFDT s’était aussi élevée contre les conditions de travail et d’emploi de ces professionnels. Pêle-mêle, elle pointait «la multiplication des temps partiels et temps non complets, des contractuels, des emplois très souvent fractionnés, des amplitudes de travail importantes pour des temps de travail journaliers souvent inférieurs à une activité à plein temps, et des contraintes telles que travailler souvent six jours sur sept et pendant les congés scolaires.»

Fort turnover

De l’avis des employeurs du secteur, eux-mêmes, «le métier d’animateur tend depuis cinq ans à fortement se précariser». C’est ce qu’indique un document de 2016 de la Commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation. Sans surprise, le turnover y est donc fort. Ces métiers «constituent souvent des emplois transitoires ou d’attente pour les jeunes», note, de son côté, France Stratégie. Mais avec 67,3 % des projets de recrutement comptabilisés par Pôle Emploi en 2018 ayant un caractère saisonnier, le tremplin est de courte durée. Et l’offre autour des métiers de l’animation perd, de fait, en attractivité pour qui envisage s’inscrire durablement dans l’emploi. De plus, ces recrutements ne sont en fait que des déclarations d’intention des employeurs. Des projets qui, au regard des dernières annonces du gouvernement sur la suppression des emplois aidés, dont l’animation est fortement consommatrice, ont pu être entre-temps remisés.

De quoi mettre en doute, au final, la capacité du secteur à absorber une part des personnes touchées par le chômage (3,46 millions sans aucune activité, selon Pôle Emploi, en juillet), comme ce jeune formé à l’horticulture à qui, dimanche dernier, Emmanuel Macron a laissé entendre qu’il était aisé de trouver du travail.

Amandine Cailhol       Libération, 22 septembre 2018

https://www.liberation.fr/france/2018/09/22/le-metier-d-animateur-tend-depuis-cinq-ans-a-fortement-se-precariser_1680271

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