Décryptage du rapport Thiriez : 42 propositions à la loupe, par l’Ugict-CGT Fonction Publique

 

Annoncé en novembre 2019 et remis finalement le 18 février 2020 au Premier ministre, le rapport de Frédéric Thiriez fait 42 propositions pour transformer la haute fonction publique. Entre ceux qui prétendent qu’elles dénaturent les corps de la haute fonction publique et ceux qui évoquent un « rapport pour rien », l’Ugict-CGT a souhaité faire un décryptage point par point des 42 propositions avancées pour permettre à chacun de se faire une opinion avant les arbitrages définitifs du gouvernement.

Introduction

Née des suites du discours de Macron en avril 2019 qui présentait la suppression de l’ENA comme une façon de répondre à la crise des Gilets Jaunes, la mission Thiriez donne l’impression d’être passée à côté de son sujet, notamment le lien de confiance entre la population et « l’élite administrative ». Soulignons à cet égard le tour de force réalisé par les auteur·e·s du rapport qui n’abordent jamais la haute fonction publique comme un outil au service d’intérêt général mais uniquement sous l’angle technique d’une bureaucratie à réformer.

La mission Thiriez ne répond pas plus aux attentes des hauts fonctionnaires. Les questions de rémunérations, de la comparabilité et de l’alignement des corps et cadres d’emploi statutaires, l’accès à une formation continue adaptée, le maintien du niveau des emplois, la question de la charge de travail ou de la conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle, … sont des aspects totalement éludés. Le rapport dénie aux hauts fonctionnaires le fait d’être des agents publics comme les autres. Organisés en viviers, ils sont vus comme de simple rouage de la machine politique à laquelle ils doivent faire allégeance.

Autant « d’oublis » qui font se demander si nous n’avons pas affaire à un « rapport pour rien ». L’enjeu de ce décryptage est de montrer que si les propositions passent effectivement à côté de l’essentiel des attentes des Français et de celles des hauts fonctionnaires eux-mêmes, elles comportent toutefois un florilège de propositions qui percutent de plein fouet la logique statutaire qui avait prévalu jusqu’à aujourd’hui et qui suit aveuglément les préceptes du new public management (notamment en 3ème partie du rapport) qui a déjà fait tant de dégâts dans nos administrations.

À ce titre, il se place dans le sillage des orientations prévues dans AP 2022 et surtout dans le droit fil de la loi de transformation de la fonction publique adoptée en force le 6 août 2019. Pour les hauts fonctionnaires, cela se traduit par une reprise en main de la haute administration par le pouvoir politique (notamment sur les plus hauts postes), la mise en œuvre d’une dualité de statuts sur les emplois de direction avec une ouverture inédite au recrutement contractuel, une perméabilité accrue entre le public et le privé laissant redouter l’émergence de logiques clientélistes.

Plus largement, on comprend bien qu’on substitue aux missions traditionnelles de l’Etat ayant trait à la régulation et la protection sociale de la population une logique de plus en plus libérale centrée sur les missions régaliennes pour assurer l’expansion de la logique des marchés. F. Thiriez résume ainsi : « il ne s’agit pas seulement de rédiger des normes d’en haut et de savoir diriger avec autorité, mais d’accompagner le changement dans une société complexe. » Le rôle du haut fonctionnaire n’est plus dans la définition de la règle et son application mais dans le management du changement. Il dessine les contours d’une intervention publique dont le périmètre devient incertain. La réglementation elle-même devient un objet de négociation. Imagine-t-on un magistrat en « porteur de projet » ou en autorité chargée de faire appliquer le droit ? Si les nouvelles références sont si éloignées du réel, c’est qu’elles visent à façon une nouvelle culture de l’action publique.

Ce rapport ne fixe pas simplement des orientations pour la haute fonction publique mais donne le ton des réformes de fonctionnement à venir pour l’ensemble de la fonction publique. Extension des primes, logique du new public management, évaluation permanente des professionnel·le·s… À cet égard, son contenu mérite l’attention de l’ensemble de la population.

 

PARTIE 1 : décloisonner la haute fonction publique

(pages 15 à 30 du rapport)

Proposition N°1 : Organiser un tronc commun pour les élèves reçus aux différents concours

L’Ugict-CGT est favorable au développement d’un socle commun fondé sur les valeurs du service public et de l’intérêt général. La formule du « tronc commun » avancée par Thiriez semble pourtant manquer cette ambition affichée puisque les enseignements en commun susceptibles d’être consacrés au développement de cette culture commune du service public ne constitueraient que deux petites semaines sur 6 mois de « tronc commun ».

Le reste étant consacré notamment à une « préparation militaire supérieure » et un rôle d’encadrant du « service national universel » dont le sens interroge. La « culture militaire » comme creuset pour la fonction publique paraît être une vision pour le moins réductrice sinon empreinte d’une certaine démagogie régalienne. A moins que ce ne soit pour diffuser l’image de fonctionnaires habitué.e.s à obéir le doigt sur la couture… Cela interroge particulièrement la situation des magistrat·e·s qui seraient également concerné.e.s par ce « tronc commun ». Ce n’est pas de la discipline qu’on attend d’elles et eux mais bien de l’indépendance dans l’exercice professionnel impartial.

Notons aussi que ce « tronc commun » n’est réservé qu’aux élèves issu·e·s de la voie dite « étudiante » (ex-concours interne réaménagé). On ne comprend pas pourquoi les élèves admis par la voie dite « professionnelle » (les autres concours) devraient en être exonérés. Cela engendrerait des promotions à deux vitesses. L’argument selon lequel ils-elles ont déjà acquis une culture du service public par les fonctions antérieurement occupées ne tient pas car la voie dite « professionnelle » serait désormais ouverte à des professionnel·le·s issu·e·s du secteur privé (6 ans d’ancienneté) qui n’auraient donc pas cette culture commune du service public.

Si l’idée d’une connaissance mutuelle des métiers de la Haute fonction publique est en soi intéressante, la proposition de 4 mois en « mission opérationnelle » proposée par Thiriez est bancale car très mal positionnée en début de cursus ; alors même que les élèves ne sont qu’au tout début de leur formation et n’ont justement pas encore pu acquérir leur identité professionnelle. Il aurait été plus judicieux de prendre appui sur l’actuel réseau des écoles de service public qui propose des sessions et divers modules inter-écoles qui répondent à ces enjeux et qui sont positionnés plus tard au cours de la scolarité. Faut-il voir dans cette proposition décalée de Thiriez la traduction maladroite de l’obsession macronnienne de mettre les hauts fonctionnaires au plus vite sur le terrain ?

Le tronc commun de 6 mois prévu ne doit pas accroître la durée totale des formations ; les durées actuelles étant conservées. Cela signifie que le séquençages pédagogiques vont devoir être revus et condensés sur 6 mois de moins ce qui pose des questions de cohérence et de complétude des apprentissages.

Il est surprenant que les élèves issus de la voie dite « professionnelle » soient dispensé.e.s du tronc commun ce qui raccourcit de 6 mois la durée totale de leur formation. Au-delà de l’impact prévisible sur la qualité des apprentissages, cela représente une source d’économies non négligeables. Les écoles « économiseraient » environ un quart de temps total de formation (frais pédagogiques, traitements des élèves, frais de stages…) pour environ la moitié des élèves (ceux de la voie dite « professionnelle »). Grossièrement, cela fait 12,5% d’économie… Quand on connaît les difficultés récurrentes des écoles, on ne peut que soupçonner Thiriez d’arrières pensées budgétaires sur le sujet. D’autant que son rapport reste totalement muet en terme d’impact budgétaire.

Du point de vue de la structure administrative, l’organisation du « tronc commun » relèverait d’un GIP de toutes les écoles concernées qui risque fort un cheval de Troie en vue d’une intégration financière et administrative beaucoup plus complète des 7 écoles. Fait de bric et de broc, à la cohérence douteuse et aux contenus contestables, le tronc commun proposé par la mission ne répond nullement à l’idée d’un socle commun pour l’ensemble de la haute fonction publique.

Proposition N°2 : Harmoniser le statut juridique des écoles

L’harmonisation des statuts juridiques ne peut qu’aboutir à plus d’uniformité dans les contenus des enseignements ce qui pose une question de fond sur la vision de la haute fonction publique. Faut-il placer tous les hauts fonctionnaires dans un même moule ou faut-il maintenir les spécificités professionnelles et donc des écoles d’application de service public. L’Ugict-CGT considère que la prise en compte des spécificités est indispensable au professionnalisme.

La volonté de placer les écoles sous le statut d’établissement public administratif fait redouter une étape 2 « post-rapport Thiriez » qui consisterait en une intégration plus complète des écoles en une seule entité. Le GIP en charge du tronc commun et de l’IHESP pourrait bien être un instrument juridique pour accroître l’interdépendance des écoles. Dans le contexte budgétaire que nous avons connu ces dernières années, il est à craindre également que le GIP ne devienne par ailleurs un outil de rationalisation budgétaire.

L’harmonisation des statuts pose aussi la question du devenir de l’EHESP pour la FPHqui garderait sa spécificité d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel. Mais pour combien de temps ? Surtout qu’une fusion avec l’EN3S qui a le statut d’EPA est envisagée.

Enfin, le statut de l’INET serait complètement revu. Erigée en EPA, l’INET couperait son lien administratif avec le CNFPT dont il dépend actuellement. Cela modifie complétement la perspective et les missions de l’INET. A compléter par les camarades des SP

Proposition N°3 : Confier aux écoles l’organisation des concours

Cette proposition va dans le sens d’une intégration plus complète des écoles dont le fonctionnement doit être unifié. L’argument avancé par Thiriez d’intensifier localement les liens avec les universités ne convainc pas. De même, on ne voit pas pourquoi le maintien de l’organisation actuelle serait un obstacle à la mise en œuvre d’épreuves mutualisées souhaitée par ailleurs par F. Thiriez.

Cette disposition affaiblit dans certains cas le pouvoir de nomination (comme le CNG dans la FPH).

Proposition N°4 : Fusionner l’EHESP et l’EN3S

Outre la question matérielle (regroupement des élèves sur un même lieu de formation) qu’un tel projet soulève, cela pose une question de fond.

Tout d’abord, la fusion signifie que la nouvelle entité formerait à la fois des agent.e.s de droit public et de droit privé. Des fonctionnaires directeurs de la FPH et des directeurs d’organismes de sécurité sociale de l’autre. Cela contribuerait à flouter un peu plus les spécificités du statut.

Par ailleurs, si le type d’épreuves d’admissibilité et d’admission est actuellement proche entre les deux écoles, les finalités professionnelles et les conditions d’exercice sont radicalement différentes. Les métiers n’ont rien à voir (d’ailleurs, on trouve très peu de mobilités professionnelles entre ces métiers). A force de vouloir rationaliser, on en vient à perdre le sens des spécificités professionnelles.

Proposition N°5 : Replacer l’administration parisienne dans le droit commun

Sous réserver des conditions de mise en œuvre, il semble à priori judicieux de suivre cette préconisation. A confirmer avec les camarades de l’INET.

Proposition N°6 : Créer une grande école d’administration publique (EAP)

C’est la proposition phare du rapport de F. Thiriez, celle qui met en musique la volonté présidentielle, exprimée en réponse à la crise des Gilets jaunes le 25 avril 2019, de supprimer l’ENA. F. Thiriez se trouve ainsi en charge de gérer la contradiction de l’énarque Macron en faisant une proposition de suppression de l’ENA qui n’en est finalement pas une car elle consiste en une transformation en Ecole d’Administration Publique (EAP). S’agit-il du simple habillage « recustomisé » de l’ENA ou y-a-t-il de vrais changements sur le fond ? Il est d’autant plus difficile de démêler l’écheveau que F. Thiriez propose deux variantes radicalement différentes.

F. Thiriez propose d’intégrer les ingénieurs des 4 corps techniques à l’EAP en remplacement de leur dernière année (tournée vers le management). F. Thiriez évoque la constitution d’un « creuset » commun aux cadres administratifs et techniques. Il y a fort à craindre que cette disposition ne soit une nouvelle occasion de lissage des cultures managériales autour des préceptes du « new public management ».

La variante 1 de la nouvelle EAP proposée par F. Thiriez vise à faire de l’EAP un établissement d’enseignement supérieur et de recherche en complément de ses missions actuelles. Bien que largement détaillée, il est peu probable que cette variante retienne l’attention tant les objections soulevées par le rapporteur lui-même semblent nombreuses ; le recrutement de 100 enseignants-chercheurs n’étant pas la moindre.

Il faut donc comprendre que le rapporteur cherche à nous emmener sur une seconde variante autrement plus inquiétante « d’Académie interne à l’administration ». Derrière le titre ronflant, il s’agit ni plus ni moins de transformer l’ENA en simple plateforme d’enseignement. L’EAP deviendrait un simple outil d’accompagnement des élèves, renonçant à entretenir en propre un corps enseignant, se basant uniquement sur des ressources externes.

Cette variante 2 est présentée comme une formule « à la carte » pour les élèves, y compris lors du cycle de formation initiale. C’est le renoncement à une logique de socle commun pour tous (réduit à 10 petites semaines sur l’ensemble de la formation) au profit d’une logique individuelle d’acquisition des « compétences » pour répondre aux besoins immédiats des administrations. Cette variante « disruptive » aurait pour effet de mettre fin au fonctionnement de l’ENA tel que nous le connaissons. C’est l’abandon total du projet de 1945 qui avait conduit à la création de l’ENA.

Evidemment, cette proposition aurait des effets en cascade sur les autres corps de la haute fonction publique.

Proposition N°7 : Supprimer le classement de sortie

Autre mesure phare de ce rapport, la suppression du classement de sortie figure enfin parmi par les pistes de réforme de l’ENA. L’Ugict-CGT porte de longue date cette proposition.

Cependant, il faut être vigilant à ce que la procédure alternative au classement ne soit pas pire que le mal auquel elle prétend remédier. En effet, le risque est grand de placer les sortants de l’ENA dans une position de forte dépendance à l’égard des administrations recruteuses. Ainsi, après avoir passé un concours d’entrée et obtenu validation de leur formation, les sortants d’école devraient encore subir une troisième sélection informelle consistant à « se vendre » aux recruteurs.

Le rapport préconise de rapprocher les vœux de élèves avec les souhaits des administrations (on ne voit pas comment faire autrement d’ailleurs !) et d’éclairer les choix au regard de la dominante choisie au cours de la formation. Cela paraît plutôt juste sauf que F. Thiriez évoque la création d’une commission de suivi amenée à arbitrer les situations les plus délicates. Les modalités restent à définir concrètement afin d’éviter les risques de favoritisme et de cooptation dans la mesure où cette commission serait composée de personnalités qualifiées dont la neutralité n’est pas garantie.

Reste aussi à être vigilant sur la mise en œuvre (par exemple les conditions de défraiement des élèves durant leurs déplacements au cours de leur recherche d’affectation).

Proposition N°8 : Revoir les affectations en sortie d’école

F. Thiriez continue sa mise en musique des orientations présidentielles qui affirment vouloir mettre davantage les hauts fonctionnaires « sur le terrain ». En réalité, cette proposition ne vise que les ex-énarques car aucune disposition similaire n’est prévue pour les autres écoles.

F. Thiriez indique qu’il souhaite modifier la répartition des postes d’administrateurs à la sortie de l’école ; moins d’effectifs pour les ministères économiques et financiers et davantage pour d’autres. A défaut de détailler sa proposition, on ne comprend pas comment cela pourrait se décliner concrètement en laissant par ailleurs chaque administration déterminer son propre besoin de recrutement.

Proposition N°9 : Faciliter l’accès au doctorat pour les hauts fonctionnaires

Cette proposition ne concerne que les élèves de l’EAP ce qui met de côté les autres écoles. Même en se limitant à ce périmètre, la proposition du rapporteur reste très floue au point de paraître plus comme une déclaration d’intention qu’une modalité qui pourrait se concrétiser pour certains hauts fonctionnaires. Quels effectifs ? Quels cursus ? Quelles modalités statutaires ? Quels organismes internationaux seraient associés ?

On voit d’ailleurs difficilement comment cette proposition pourrait se décliner avec la variante 2 (proposition 6) qui consiste à ne faire de l’EAP qu’une plateforme d’accompagnement-coaching des élèves.

Repenser le système des grands corps

Avant de détailler les propositions suivantes, F. Thiriez a trouvé utile de poser deux principes visant à remettre en cause le système des grands corps et notamment la « botte » de sortie de l’ENA qui permet d’accéder directement aux postes les plus prestigieux sans exercice de « terrain ».

F. Thiriez évoque deux solutions. Tout d’abord la fonctionnalisation des emplois sur lesquels les candidats seraient nommés pour une durée déterminée, renouvelable, par voie de détachement. Clairement, il s’agit d’organiser une précarité pour l’accès à ces hauts postes. Evidemment, c’est donner les pleins pouvoirs à ceux qui décideront du recrutement. Cela peut contrevenir à la nécessaire impartialité, ce dont F. Thiriez convient lui-même en citant plusieurs jurisprudences qui sonnent comme un plaidoyer en faveur d’une fonction publique de carrière défendue par la CGT depuis la création des statuts après-guerre. F. Thiriez évoque une seconde option consistant à fermer l’accès direct à certains corps de la haute fonction publique qui deviendraient des corps de débouché (plus tard dans la carrière). Cette seconde option pose néanmoins la question de la sélection future pour accéder à ces corps de débouché.

La mission Thiriez propose de distinguer, parmi les « grands corps », les corps d’inspection et les corps juridictionnels (propositions 10 et 11).

Proposition N°10 : Fonctionnaliser les corps d’inspection

Pour l’IGF, l’IGA et l’IGAS (et à terme l’ensemble des corps d’inspection), le rapporteur se dit favorable à la fonctionnalisation des emplois malgré l’opposition de l’ensemble de ces corps.

La fonctionnalisation de ces emplois ne peut être la solution. En effet, la fonctionnalisation revient à placer ces fonctionnaires sur un siège éjectable. Dès lors que le contenu de leurs rapports d’inspection seront jugés « inadéquats », on imagine bien les moyens de pression exorbitants à disposition du gouvernement pour discipliner ces agent.e.s…

L’Ugict-CGT considère qu’il s’agit d’un grave dévoiement du statut dans la continuité de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019. Cette proposition marque bien les intentions de l’équipe d’Emmanuel Macron de reprendre en main la haute administration qui se doit d’être plus soucieuse du pouvoir en place que de l’intérêt général.

Proposition N°11 : Différer l’accès aux « grands corps » juridictionnels.

Concernant le Conseil d’Etat et la Cour des Comptes, la mission Thiriez évoque deux variantes. L’une qui préconise un accès différé à ces corps en les transformant en corps de débouché, l’autre qui vise « seulement » à différer la titularisation (en sortie d’école) et de la conditionner l’exercice de deux ans dans une administration déconcentrée auxquels une autre période probatoire de 2 à 3 ans d’exercice dans le corps juridictionnel viendrait s’ajouter.

En clair, il y a donc une sorte de mise en stage de 4 à 5 ans avant titularisation. Cela ne garantit nullement l’ancrage terrain des agent.e.s mais en revanche leur docilité à l’égard du pouvoir politique qui se réserve des moyens de pression très forts sur la carrière de ces fonctionnaires, en les maintenant en stage « probatoire » sur de si longues périodes.

Proposition N°12 : Créer « l’ENA internationale ».

Alors que la mission Thiriez préconise de supprimer l’ENA en la transformant en EAP, la même mission prétend maintenir la « marque Ena » à l’international. Cela illustre les contradictions autour de l’ENA, vue par la population comme le « creuset de l’élite déconnectée » des Français mais vue à l’international comme le « creuset de l’excellence administrative à la française ».

Le « en même temps » de F. Thiriez peine à convaincre. Il dévoile en fait toute l’ambiguïté de son projet qui prétend tout changer de l’Ena sans que rien ne change vraiment.

Le fait de considérer l’Ena comme une marque qui devrait se vendre s’inscrit bien sûr en rupture avec les valeurs du service public. L’Ena ne doit pas être une « business school ».

PARTIE 2 : diversifier le recrutement

(pages 31 à 43 du rapport)

Proposition N°13 : Revoir la nature des épreuves

Pour ce qui est du concours « étudiant », les propositions du rapporteur sont intéressantes bien qu’insuffisantes pour atteindre à elles seules l’objectif d’une plus grande diversité sociale dans les grandes écoles.

L’Ugict-CGT est en revanche très réservée sur le déploiement de tests psychotechniques et de personnalité pour les épreuves d’admission. Leur validité scientifique est loin d’être établie. Il est encore moins certain qu’ils soient adaptés à la situation des hauts fonctionnaires. Pour nous rassurer, F. Thiriez indique qu’ils ne seront pas notés ce qui ne rassure pas car il y a de grandes chances qu’ils jouent le rôle de « véto » émis par un psychologue composant le jury d’admission.

Proposition N°14 : Diversifier et professionnaliser les jurys

Sous-couvert d’améliorations réelles permettant de diversifier les jurys des concours (ce qui est hautement souhaitable pour éviter les effets de reproduction sociale), F. Thiriez en profite pour glisser subrepticement la nécessité d’accroître la présence de personnes extérieures à l’administration. Cette ouverture non précisée laisse supposer des personnes du secteur privé dont on ne mesure pas bien la plus-value lors du jury. Il faut probablement y voir la matrice idéologique qui consiste à penser que les cadres du privé sont les mieux placés par nature pour sélectionner les fonctionnaires dont ils ne connaissent que très partiellement les conditions d’exercice.

Proposition N°15 : Mutualiser les épreuves communes aux différents concours

Si le rapport écarte l’idée d’un concours unique permettant l’accès à toutes les écoles, il n’en envisage pas moins une « banque d’épreuves communes » qui éviterait aux candidats de repasser plusieurs fois des épreuves équivalentes. Cela suppose de coordonner les calendriers des différents concours. On ne sait si cela va réellement simplifier les concours ou les uniformiser davantage. En effet, même si les différents concours actuels testent des matières identiques, la grille de lecture des correcteurs n’est pas tout à fait la même en fonction du corps auquel le concours donne accès.

Proposition N°16 : Réduire ou supprimer les recrutements parallèles

Le rapport pointe la nécessité de simplifier les voies d’accès parallèles. Dans la nouvelle perspective, il n’est plus question de concours externes mais de voie « étudiante ». De même, plus de distinctions entre les concours internes, 3ème concours et tours extérieurs qui seraient fondus dans une nouvelle voie « professionnelle ».

Si le rapport propose que les effectifs des deux voies soient sensiblement identiques, il ne cherche pas à quantifier le besoin de recrutements, s’exonérant de tout exercice de prospective.

Il indique également le fait que les élèves issus de la voie professionnelle seraient dispensés des 6 mois de tronc commun. On peut supposer qu’il s’agit là d’une mesure d’économie. Un quart de la formation pour la moitié des élèves, cela fait mathématiquement 12.5% d’économie sur la durée des scolarités.

Par ailleurs, cette simplification se fait au détriment des fonctionnaires issus du concours interne dont les conditions d’accès au concours professionnel seraient durcies (voir nos commentaires sur la proposition 20). A l’inverse, les candidats issus du secteur privé auraient des conditions d’accès plus larges. Sans le dire, F. Thiriez ouvre grande la porte au secteur privé pour les secondes parties de carrière dans la haute fonction publique.

On peut aussi se dire légitimement qu’une réforme de cette ampleur ferait école pour l’ensemble des corps de la fonction publique et pas seulement la catégorie A+.

Proposition N°17 : Généraliser la voie d’accès réservée aux docteurs

F. Thiriez n’amène rien de neuf sur l’intégration des docteurs. Il se contente de reprendre les dispositions en vigueur. On peut s’étonner que le rapporteur ne s’empare pas de cette question. C’est certainement que son objectif de transformation est ailleurs. L’accent étant mis dans l’ensemble du rapport sur les aptitudes managériales des hauts fonctionnaires plutôt que sur leurs connaissances spécialisées, y compris dans des domaines pointus.

Proposition N°18 : Créer 20 nouvelles classes préparatoires « égalité des chances » en région

Cette proposition 18 fait partie des mesures importantes du rapport Thiriez. Outre l’intitulé « égalité des chances » qui est contestable (on parle seulement d’égalité des chances et non d’égalité effective), le dispositif peut être intéressant. De 130 places en classe préparatoire intégrée, on passerait à 400 places en CPE. Attention cependant, car leur gestion ne relèverait plus des écoles d’application mais serait organisée par des opérateurs extérieurs sur la base d’appels à projets.

Il s’agit donc bien dans un premier temps d’externaliser les anciennes CPI. L’appel à projet (et le financement Etat du dispositif) laisse craindre une concurrence des opérateurs sur les contenus et donc une qualité qui ne serait pas forcément au rendez-vous.

Le maillage territorial (une classe par région y compris en outremer (DROM)) laisse en suspend plusieurs questions. Aurons-nous un quinzaine d’élèves dans chaque CPE ou sera-t-il tenu compte de la démographie des régions ? Si oui, comment combiner la préparation aux différents concours (7 concours) en combinant tout cela avec les critères de diversité ?

Notons aussi que l’accompagnement social des étudiants reste faible en CPI, 2000euros (certes cumulables avec les bourses).

Proposition N°19 : Créer un concours spécial : la voie d’accès « égalité des chances »

Cette proposition a suscité beaucoup de commentaires dès la sortie du rapport Thiriez en février 2020 au motif qu’il s’agissait de discrimination positive. Le gouvernement a fait savoir qu’il ne retiendrait pas cette proposition.

Proposition N°20 : Créer un concours professionnel unique

De prime abord, on est plutôt séduit par cette proposition du rapport qui semble apporter plus de simplicité à des dispositifs de concours dont la lisibilité n’est pas toujours assurée et qui constituent parfois un maquis pour les candidat.e.s. A condition toutefois d’être prudent car il existe un risque d’empêcher la diversité des recrutements en fusionnant les concours internes, troisième concours et tours extérieurs.

En y regardant à deux fois, on se rend compte de la duplicité du rapport sur ce point qui essaie de masquer à travers les déclarations de bonnes intentions une évolution majeure des concours. En effet, cette proposition aurait pour effet d’ouvrir l’ensemble des postes aux candidat.e.s issu.e.s sur secteur privé alors que la possibilité (pour l’ENA) était limitée aux seul 3ème concours ; le tour extérieur et le concours interne étant pas définition réservés aux agent.e.s public.s.

Derrière cette proposition de concours dit « professionnel » se cache donc une ouverture marquée au secteur privé. Ce qui rend, au passage, d’autant plus incohérente le fait que les lauréat.e.s du concours professionnel seraient exclus du tronc commun de 6 mois en début de formation.

Non seulement les dispositions pour le privé sont renforcées, mais la durée requise pour les agent.e.s publics serait allongée. Alors que le concours interne (ENA) prévoit une durée de service public de 4 ans requise pour les agent.e.s souhaitant de se présenter au concours, cette durée serait portée à 6 ans. Donc loin d’être une mesure de simplification, la disposition Thiriez sert l’ouverture de la fonction publique au privé tout en envoyant un signe négatif aux agent.e.s publics qui auraient pu se présenter au concours interne.

La variante proposée par le rapport suggère que le cursus de formation pourrait être allégé. Cela ne peut que remettre en cause la valeur de la formation délivrée et l’aptitude des professionnels à exercer les fonctions.

Proposition N°21 : Reconnaître l’activité de recherche comme une expérience professionnelle

Il s’agit d’une bonne proposition qui reprend hélas des dispositions déjà existantes. Il ne faudrait pas considérer que cette disposition exonère d’une réflexion plus globale sur la place de la recherche dans la fonction publique.

Cette question permet également de souligner la nécessité de donner plus de place aux titulaires de doctorat dans la fonction publique, bien au-delà des dispositions minimalistes introduites ces dernières années dans les statuts particuliers.

L’Ugict-CGT a fait régulièrement des propositions sur ce sujet.

Proposition N°22 : Mieux faire connaître les métiers

Le rapport préconise une politique de communication pour faire connaître les métiers de la haute fonction publique dans les grandes écoles, les universités et le SNU. Pourquoi pas. On a néanmoins envie de dire que c’est l’ensemble des filières professionnelles qui nécessiteraient une politique de communication accrue arrimée aux services lycéens et étudiants qui permettent l’orientation professionnelle. Évidemment, F. Thiriez ne chiffre pas les moyens qui seraient dévolus à cette politique de communication.

F. Thiriez propose d’utiliser les jeunes hauts fonctionnaires qui deviendraient « VRP » de la haute fonction publique. On ne comprend pas trop cette proposition. Vise-t-elle une implication obligatoire des jeunes hauts fonctionnaires ou se fonde-t-elle sur le volontariat ?

Proposition N°23 : Encourager la détection et l’accompagnement

Le rapport propose de développer des QCM en ligne pour que les éventuels candidats aux concours s’auto-évaluent afin d’identifier leurs chances de décrocher le concours. Cela ne mange pas de pain mais on peut douter de l’efficacité du dispositif à identifier, au-delà des connaissances, les aptitudes managériales requises.

Nous ne suivons plus le rapporteur du tout lorsqu’il évoque la détection précoce des hauts potentiels pour lesquels une identification dès le collège serait mise en place. C’est du délire qui ignore complètement le réel ou l’expression d’une vision élitiste prônée dès le plus jeune âge.

Proposition N°24 : Progresser vers la parité dans les emplois supérieurs

Hélas, le rapport Thiriez qui développe longuement cette partie peine à masquer la vacuité de ses propositions. Le long rappel des dispositions en vigueur depuis 2012 fait plus penser à une entreprise de promotion de l’action du gouvernement qu’à une recherche de pistes d’amélioration. Minimaliste, le rapport se contente de proposer au gouvernement de nommer 50% de femmes (sur une période d’un an).

Évidemment, il n’est pas question d’un dispositif contraignant. On peut légitimement douter de l’impact réel de cette préconisation.

PARTIE 3 : dynnamiser les carrières

(pages 45 à 60 du rapport)

Cette 3ème grande partie du rapport est toute entière consacrée au déploiement du « New public management » dans la haute fonction publique. Les références aux grilles de lecture managériale en vigueur dans le privé et qui n’ont jamais fait leur preuve dans le secteur public sont évidentes. Les anglicismes et la nov’langue qui jalonnent cette partie du rapport témoignent d’une volonté de franchir un nouveau cap dans l’acculturation des hauts fonctionnaires à la gestion d’entreprise. Sous couvert de modernité, ce sont les vieilles recettes éculées du management qui sont ressorties. Evaluation, performance, employabilité, agilité, gestion des talents, coaching, …

Les rédacteurs du rapport s’évertuent à reprendre sans l moindre esprit critique les concepts à la mode dans les business school. Si on mesure bien comment ces dispositions accroissent la pression et la docilité des agent.e.s, le rapport ne fait jamais la moindre démonstration de ce que la mise en œuvre de ces principes managériaux pourraient apporter à la population, en quoi le service public serait amélioré ou les besoins des Français mieux pris en compte. Manifestement, les Gilets Jaunes sont bien loin des préoccupations des rapporteurs.

Proposition N°25 : Réviser en 2020 le référentiel de compétences des hauts fonctionnaires

Le rapport Thiriez annonce clairement son intention de revoir le référentiel qui doit servir aux écoles de service public et servira probablement de base aux référentiels de la FPT et la FPH.

Ce n’est pas l’objet de ce décryptage de reprendre point par point les éléments du référentiel. Notons seulement la volonté d’uniformiser les profils sur des attendus communs. Autant le rapport valorise la recherche de diversité parmi les profils, autant on peut être surpris de cette volonté d’uniformisation qui ne laisse pas beaucoup de places à celles et ceux qui ne voudraient pas marcher au pas. Plus que jamais, le référentiel apparaît comme un « moule » visant à produire des hauts fonctionnaires standards et interchangeables ; à l’opposé de la conception de l’Ugict-CGT.

Proposition N°26 : Faire de la DGAFP une véritable « DRH groupe »

Encore un vocable, « DRH groupe », qui singe les pratiques du secteur privé pour se donner une légitimité. Dans le privé, ce sont souvent les « DRH groupe » qui impulsent les grands plans sociaux. Ceci marque encore une fois la volonté de contrôle, voire de mainmise du pouvoir politique, par la main de la Dgafp, sur la haute fonction publique.

Proposition N°27 : Élargir le vivier Cadres dirigeants

Le terme « vivier » est hélas passé dans le langage courant en ce qui concerne les cadres dirigeants. Cette métaphore animalière en dit long sur la considération accordée aux cadres dirigeants, bêtes de somme de la haute administration.

« Pour l’assessment des hard skills et des soft skills des candidats au vivier, la MCD se basera sur le CIME où l’on trouve des coachs séniors qui vérifient l’appropriation d’une culture managériale agile ». Vous n’avez rien compris de ce petit condensé du rapport ?

Normal, peut-être serait-il plus parlant de nous expliquer qu’il s’agit de créer de nouvelles procédures de sélection ad’hoc, donc hors des statuts, permettant de présélectionner les meilleurs parmi les hauts fonctionnaires, ceux qui sont bien évidemment destinés à entrer dans la garde prétorienne du pouvoir pour exerçant lesles fonctions les plus prestigieuses, telles que celles de directeurs d’administration centrale, de préfets, d’officiers généraux du ministère des armées…

Ceci constitue un des leviers du « spoil system » à la Macron. Le projet a l’air très avancé puisque F. Thiriez s’autorise pour une fois à donner un effectif pour cette nouvelle fonction RH de la Dgafp (10 ETP en plus). Naturellement, le rapport préconise une transposition de la même approche à la FPT et la FPH.

Proposition N°28 : Renforcer les DRH ministérielles

Cette proposition est en cohérence avec la précédente. Le repérage fait par les DRH ministérielles est indispensable pour alimenter le vivier de la mission cadres dirigeants (MCD). Là encore, F. Thiriez, pourtant avare de chiffrage, propose le recrutement de 20 ETP supplémentaires. C’est dire toute l’importance accordée à ce dispositif qui révèle une vision pyramidale et hiérarchique de la haute fonction publique.

Proposition N°29 : Améliorer le suivi RH des cadres territoriaux

La formulation de cette proposition semble bien large pour un propos circonscrit à la situation des fins de détachements des cadres « A+ » exerçant dans la territoriale et qui se voient contraints à une mobilité forcée, typiquement à l’occasion d’un changement de majorité politique dans la collectivité où ils exercent. Pour remédier à ce problème F. Thiriez propose la création d’un centre national de gestion de la FPT en prenant modèle sur ce qui se pratique dans la fonction publique hospitalière.

Outre le caractère étriqué des missions attachées à ce CNG-FPT qui serait plus un centre de recyclage professionnel pour A+ en désamour dans leur collectivité qu’un véritable lien ressources pour dynamiser les parcours professionnels. Il semble que la logique suivie par le rapporteur vise moins à accompagner et à reconnaître les qualifications qu’à permettre une gestion de plus en plus politique des postes à haute responsabilité permettant de limoger d’autant plus facilement les hauts fonctionnaires territoriaux que les collectivités se déchargeraient sur le CNFPT (via ce nouveau CNG) de gérer la suite de leur carrière (et la rémunération qui va avec).

Cette proposition est un nouveau volet qui met en œuvre une vision toujours plus politique de la haute fonction publique, qui arrime davantage ces agents au pouvoir politique qu’ils servent qu’à l’intérêt général qui est le seul élément qui devrait leur action.

Proposition N°30 : Reconnaître la catégorie A+

Sans existence juridique, la catégorie A+ est entrée dans le langage courant pour définir la faute fonction publique bien que son périmètre soit incertain. Il est curieux de voir Frédéric Thiriez remettre sur le métier cette proposition qui a fait l’objet de débats lors de l’élaboration de la loi de transformation de la fonction publique au printemps 2019 sans que cela n’aboutisse à l’inscrire dans la version finale de la loi du 6 août 2019.

Par ailleurs, on ne peut que s’interroger sur le fond. Il ne faudrait pas que cette disposition qui flatte l’égo des hauts fonctionnaires ne soit le moyen d’accroitre encore le niveau des exigences professionnelles. Comme ce qui a été vu pour les nombreux corps classés en catégorie B et qui sont passés en catégorie A, cela s’est fait avec des exigences professionnelles et des responsabilités accrues mais avec des revalorisations salariales minimes.

Par ailleurs, l’identification distincte d’une nouvelle catégorie A+ pourrait faciliter de futures attaques sur les corps relevant de cette catégorie. Car il peut être commode de mettre ensuite des dispositions législatives et réglementaires spécifiques au A+ qui les sortent un peu plus du droit commun et les éloignent encore du statut général.

On comprend d’autant plus mal cette proposition de F. Thiriez qu’il la justifie par la volonté de faciliter les mobilités. Il passe à côté de l’objectif car ce qui permet les mobilités (choisies bien sûr), c’est l’accès à l’information de tous et toutes, la garantie d’un traitement égal des candidatures et des dispositions statutaires très proches qui évitent les effets de yoyo dans les rémunérations. Sur ce dernier point, F . Thiriez évoque la nécessité « à terme » d’harmoniser les conditions de rémunérations. Il ne peut être plus prudent. Il faut au contraire maintenir les différents corps et les aligner vers le haut tout en réduisant la part aléatoire de rémunération et donc la part des primes.

Enfin, F. Thiriez renvoie poliment à la DGAFP le soin d’aller plus loin dans la définition du périmètre de la catégorie A+ ce qui laisse planer un doute sur le nombre des emplois concernés. Si tous les emplois de la haute fonction publique n’étaient pas concernés, on verrait se mettre en place un haute fonction publique à deux vitesses et plus généralement une fragmentation encore accrue de la fonction publique.

Proposition N°31 : Poursuivre le mouvement de fusion des corps

On ne peut que déplorer la logique suivie par Frédéric sur ce sujet qui fait le choix de s’inscrire dans le sillage du rapport Silicani de 2008 qui était un chef d’œuvre de dogmatisme néo-libéral appliqué à la fonction publique. La fusion de différents corps n’est ainsi jamais analysée en référence à l’évolution intrinsèque de certains métiers ou conditions d’exercice mais en fonction d’une doxa qui consiste à dire que le nombre de corps est, par principe, trop important et qu’il faut donc les réduire drastiquement sans considération des exercices professionnels et du service rendu à la population.

Cela aboutit à une triste méconnaissance des métiers comme la proposition de fusion des cadres d’emploi d’administrateur territorial et d’ingénieur en chef territorial ou encore la fusion des corps de directeur des services pénitentiaires et de directeur d’insertion et de probation.

Plus idéologique encore, le rapport prétend fusionner les corps d’inspection en une « inspection générale de l’État ». C’est tout simplement l’arrêt de mort pour l’IGF, l’IGA et l’IGAS car derrière l’intention de fusionner se trouve la volonté de réduire les effectifs dont Thiriez ne se cache même pas. Ceci remet en cause un des fondements de la République et la nécessité d’exercer un contrôle régulier et détaillé du fonctionnement de l’État dans toutes ses dimensions. Réduire les missions d’inspection, rogner leur indépendance et leurs spécificités, c’est tout simplement remettre en cause une vision de l’Etat.

À l’inverse de la vision dogmatique proposée par Thiriez, l’Ugict-CGT préfère une analyse du travail réel, un examen effectif des contenus professionnels pour le cas échéant proposer certains rapprochements voire certaines fusions de corps quand cela se justifie. C’est d’ailleurs la CGT qui a a été la première organisation syndicale à proposer devant le conseil supérieur de la fonction publique hospitalière en 2005 la fusion entre les corps de directeur d’hôpital et directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social, considérant que les qualifications étaient identiques, les niveaux de responsabilité équivalents et que les structures qu’ils étaient amenés à diriger étaient de même nature. Évidemment, toute fusion ne se conçoit que par un alignement sur les dispositions statutaires les plus favorables.

Proposition N°32 : Publier les postes vacants de cadres dirigeants de l’État

Cette proposition est particulièrement hypocrite en donnant la fausse impression d’agir en faveur de l’égalité des candidats. Si la publicité est assurée, il n’existe toujours aucune mesure sérieuse de contrôle sur les modalités de sélection opérés. La transparence accrues des publications ne suffit pas à assurer l’égalité de traitement aux hauts emplois publics alors même que l’incitation grandissante à faire appel à des contractuels risque de conduire à des dérives plus nombreuses.

Proposition N°33 : Reconnaître et évaluer les besoins en ingénieurs de l’État

Le rapport propose d’écrire… un autre rapport, plus tard, sur la situation des ingénieurs de l’Etat. S’étant déjà largement attaqué aux différentes écoles, le rapporteur a-t-il craint de froisser davantage les corps techniques ?

Proposition N°34 : Systématiser les évaluations à différentes étapes de la carrière et accompagner les cadres

Comment ne pas voir encore derrière ces évaluations régulières, rebaptisées « assessments » (comme si l’anglicisme adoucissait le dispositif), un outil de coercition ? Alors que le rapport ne prévoit à aucun moment l’organisation d’un droit d’alternative pour les hauts fonctionnaires, on ne voit apparaître que des dispositifs qui s’ajoutent au droit commun (les entretiens annuels) et qui renforcent l’emprise de l’administration. La question des critères n’est pas claire et l’assessment risque de tourner à l’exercice d’autocritique dont l’enjeu sera le déroulement futur d’une carrière devenue conditionnée au rapport de la hiérarchie.

Proposition N°35 : Créer l’Institut des Hautes Études du Service Public

L’IHESP est un nouvel étage dans l’usine à gaz de la haute fonction publique. Son financement par le GIP qui gère déjà le tronc commun risque de peser sur les finances des écoles.

En termes de contenus, l’IHESP se limite à une scolarité à temps partiel, une trentaine de journées « tout compris » ce qui est loin, très loin du modèle de l’école de guerre dont les rédacteurs du rapport étaient sensés s’inspirer.

La procédure de sélection (un nouvel « assessment ») ressemble plus à de la cooptation qu’à un système de sélection sur les mérites.

La proposition devient ridicule lorsqu’on s’aperçoit qu’il n’est même pas question de rendre obligatoire le passage en IHESP avant d’intégrer les emplois supérieurs de direction. F. Thiriez indique prudemment que l’objectif est que la moitié (seulement !) des emplois supérieurs soient pourvus par des lauréats de l’IHESP. Il est vrai que l’inverse aurait percuté de plein fouet le pouvoir discrétionnaire du gouvernement.

On peut douter de l’intérêt de ce dispositif pour les hauts fonctionnaires qui cherchent à dynamiser une seconde partie de carrière. En effet, la formation « light » ouvre seulement la porte à un « vivier » dans lequel le gouvernement n’est même pas obligé d’aller pêcher pour pourvoir les postes vacants.

En revanche, il est clair que ce dispositif permettra de faire accéder les contractuels à une sorte de dispositif de formation continue… payé par les écoles qui forment les fonctionnaires.

Proposition N°36 : Favoriser et valoriser les mobilités

F. Thiriez envisage de faire peser plus lourdement la mobilité sur les hauts fonctionnaires, en faisant plus que jamais un pis-aller au déroulement de carrière. Le rapport indique qu’il doit en « être tenu compte pour les nominations et les promotions de grade. » Cette obligation serait encore renforcée pour les emplois de direction.

Encore un outil supplémentaire de coercition dans la boîte à outils des DRH.

Proposition N°37 : Encourager les passages du secteur public au secteur privé

Cette proposition est hallucinante. Alors que F. Thiriez vient de détailler de très nombreuses propositions pour dire comment il entend repérer, sélectionner et promouvoir les « talents », il nous explique à présent comment accompagner le pantouflage par la mise en place d’une cellule d’outplacement.

Il s’agit d’organiser les départs vers le privé avec un retour, peut-être, cinq ans plus tard. L’otplacement s’apparente aussi à une cellule de reclassement de pôle emploi pour les hauts fonctionnaires (c’est d’ailleurs généralement pour les cadres au chômage que le terme outplacement est utilisé dans le privé). On voit que le rapport pense à tout, y compris se séparer des hauts fonctionnaires qui deviendraient indésirables et qu’on « accompagnerait » vers le privé.

Le rapport propose une évaluation du nouveau dispositif (du fonctionnement de la cellule). Dommage car on aurait préféré qu’un bilan soit fait de l’efficacité du pantouflage et rétro-pantouflage sur l’amélioration effective du service public.

Proposition N°38 : Réussir l’ouverture des emplois de direction aux contractuels

De façon incroyable, F. Thiriez évoque le « plafond de verre » dont seraient victimes les contractuels et qui les empêcheraient de progresser. Plutôt qu’un plafond de verre, on serait plutôt tenté d’évoquer une distinction nécessaire entre ceux qui ont pris la peine de passer un concours et ceux qui n’ont pas suivi cette voie.

Lénifiant, F. Thiriez déplore que l’arrivée des contractuels (et ce n’est qu’un début) ait été vécue comme une menace par les hauts fonctionnaires. En effet, on ne peut le contredire sur ce point. Puisqu’il est désormais possible d’accéder à un poste de très haute responsabilité sans avoir passé le concours, ni suivi deux ans de formations, sans avoir eu à subir les entretiens annuels et les évaluations régulières, les fluctuations de primes en fonction de la performance, les postes fonctionnels, les obligations renforcées de mobilité, voire le passage à l’IHESP, puisque tout ceci peut être contourné par un simple contrat de travail, on comprend que les hauts fonctionnaires comme l’ensemble des fonctionnaires se demandent si cela vaut encore la peine de se donner tant de mal pour être au statut.

La dualité statutaire, considérablement renforcée en 2019, est là pour rendre le statut moins attractif et permettre le recrutement discrétionnaire de contractuels. Les hauts fonctionnaires sont les premiers à en faire les frais. Tout ceci relativise d’ailleurs la portée de l’ensemble des propositions du rapport Thiriez.

Proposition N°39 : Créer un fast track pour les cadres les plus performants

L’usage des anglicismes, outre l’illusion de modernité, cache souvent une volonté d’édulcorer des réalités qu’il serait plus difficile d’exprimer dans la langue de Molière. Le fast track entre bien dans ce périmètre puisqu’il consiste ni plus ni moins à créer des accélérateurs de carrière réservés à quelques-uns. Il s’agit visiblement de déployer de nouvelles dispositions de promotion au choix. Sans le contrôle des CAP, on sait bien que ce système ouvre la porte aux pratiques de nominations discrétionnaires. Tout ceci contrevient à l’esprit du statut général de 1983, il est vrai profondément dénaturé par la loi de transformation de la fonction publique.

Plus grave encore, le rapport préconise d’ouvrir ces dispositions à l’ensemble des fonctionnaires de catégorie A et non les seuls hauts fonctionnaires. Tout ceci montre toute l’importance de la réforme de la haute fonction, non seulement pour les intéressé.e.s mais aussi parce que que toutes les dispositions proposées sont autant de ballons d’essai qui demain risquent de concerner toutes les catégories d’agent.e.s.

Proposition N°40 : Aborder la question des rémunérations

Si F. Thiriez avance quelques données sur la question des rémunérations, il ne fait aucune proposition concrète, passant la patate chaude à la future inspection générale de l’Etat et éludant une question clef qui aurait dû occuper son rapport.

Les rémunérations sont au cœur de la question de l’attractivité, notamment en tout début de carrière, notamment les grilles proposées aux élèves dans les différentes écoles.

Les rémunérations sont au cœur des questions de mobilité inter-fonction publique. Des statuts aux grilles disparates et aux régimes de primes opaques et discrétionnaires sont des entraves évidentes à la mobilité.

La rémunération traduit aussi la reconnaissance de la qualification, des contraintes professionnelles et du niveau des responsabilités exercées.

Proposition N°41 : Augmenter la part de la rémunération aux résultats

Il faut voir dans cette proposition la continuité idéologique des principes de management qui ont toujours eu des résultats délétères dans le secteur privé. Il est tout de même curieux que les dispositifs de rémunération aux résultats, sous-entendu « au mérite », n’aient jamais fait l’objet eux-mêmes d’une évaluation sérieuse au regard de leur efficacité supposée à améliorer le service public. Au mieux trouvera-t-on un bilan des primes attribuées aux hauts fonctionnaires dans les bilans d’activité des organismes en charge de leur gestion (comme le CNG pour la FPH) mais rien bien-sûr qui ne donne un semblant de crédibilité à ces préconisations qui continuent donc d’être ânonnées à longueur de rapports.

F. Thiriez va encore plus loin en proposant le transfert de la part fonctionnelle vers le complément indemnitaire. En clair, il s’agit de « variabiliser » une partie des primes qui était relativement stable car attachée aux fonctions exercées et donc adossée à la nature même des emplois exercées et non à la manière de servir. Sous couvert de « mieux reconnaître les performances individuelles », c’est bien un accroissement considérable des moyens de pression de la hiérarchie qui est prônée. Cela va dans le sens d’une reprise en main par la hiérarchie et parfois le pouvoir politique qui se dote d’un moyen de pression puissant pour discipliner les hauts fonctionnaires qui souhaiteraient sortir du rang.

Les responsabilités attachées aux statuts des hauts fonctionnaires ne sont pas pensées comme procédant d’une autonomie décisionnelle importante mais comme un devoir d’obéissance et de conformisme accru. F. Thiriez confond ainsi loyauté et soumission.

Proposition N°42 : Mieux gérer les troisièmes parties de carrière et les périodes intercalaires

F. Thiriez s’émeut du nombre de cadres « en attente d’affectation », probablement pour des raisons financières. De façon surprenante, F. Thiriez considère qu’une solution pourrait être de revoir le flux d’entrée dans les écoles en révisant à la baisse le nombre d’élèves formés. C’est méconnaître complétement la situation. Dans l’hospitalière par exemple, la faiblesse des nouvelles promotions de Directeur d’hôpital-directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social a eu pour effet de laisser nombre de postes vacants et de très nombreux intérims. Pourtant, de nombreux directeurs qui sont en recherche d’affectation, se présentent sur les postes vacants mais les agences régionales de santé refusent de les recruter sous de fallacieux prétextes.

Le vrai problème est la superposition des strates décisionnelles et le contournement des règles de nomination statutaire qui a flouté les procédures et gripper les rouages de la procédure d’affectation. La solution consiste à retrouver le sens du statut général, la publication des postes vacants, l’examen impartial des candidatures, la possibilité d’accéder à la formation à l’occasion des mobilités. Autant de propositions qui sont portées par l’Ugict-CGT.

 

Conclusion

Il faut hélas attendre la conclusion du rapport pour que F. Thiriez aborde la question qui aurait dû être l’objet central de son rapport à savoir « l’adaptation de la fonction publique aux enjeux du XXIème siècle ». Le rapport n’évoque jamais les besoins nouveaux de service public au XXIème siècle. Nous avons un désaccord de fond avec le rapporteur qui considère que le rôle principal d’un haut fonctionnaire est la « conduite du changement » ce qui en fait désormais un exécutant docile de la doxa libérale. La conduite du changement s’est traduite par un recul des missions de l’Etat au cours des dernières décennies. Le pouvoir politique macronnien souhaite aller encore plus loin dans l’austérité, et dans l’instrumentalisation croissante de l’Etat au service de la finance. Pour ce faire, il a besoin d’une garde prétorienne constituée par une élite administrative dévouée qu’il espère bien sûr constituer parmi ses partisans politiques en les recrutant comme contractuel.le.s mais aussi en se donnant les moyens de construire une haute fonction publique à sa main. En ce sens, nombre de propositions du rapport Thiriez vont dans le sens d’une politisation croissante de la haute fonction publique à rebours des dispositions qui avaient prévalu en 1945. En somme, nous voyons les prémisses d’un « spoil system » à la française. Ne nous y trompons pas, les dispositions qui concernent la haute fonction publique concerneront demain l’ensemble des agents publics.

Au contraire, nous pensons que le haut fonctionnaire doit être arrimé à l’intérêt général plutôt qu’au pouvoir politique, qu’il n’est à même d’assumer pleinement ses fonctions et de remplir la mission que s’il dispose de marges de manœuvre dans la conception et la mise en œuvre des décisions. Les enjeux de développement du service public sont immenses, non seulement dans les champs d’intervention actuels de l’Etat mais aussi dans des champs nouveaux comme les défis environnementaux, la régulation du numérique, la remise à niveau de tous les services publics qui ont tant subi le poids de l’austérité… En bref, d’un Etat plus protecteur, plus régulateur, tourné à nouveau vers des perspectives de progrès social.

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