Fonction publique. Un projet de loi inspiré du privé, imposé à marche forcée

Malgré une demande de suspension par toutes les organisations syndicales, le texte présenté à la presse par le gouvernement, amendable sous quinze jours, devrait être soumis au Conseil des ministres fin mars.

Mercredi soir, sept syndicats sur neuf claquaient la porte du conseil commun de la fonction publique (CCFP), « en colère » contre le secrétaire d’État Olivier Dussopt. FO annonçait même rejoindre enfin l’intersyndicale désormais unitaire, et appelait dans la foulée à manifester le 19 mars. Le lendemain, jeudi, le même secrétaire d’État se réjouissait de la présence de toutes les organisations à sa présentation du projet de loi de « transformation de la fonction publique », en omettant de préciser le départ inopiné de la majorité d’entre elles. À l’image des discussions entamées depuis un an dans le secteur, deux mondes se côtoient, deux mondes parallèles qui jamais ne se croisent, malgré la tentative de réécriture du gouvernement.

Le vocabulaire enthousiaste du ministère de l’Action et des Comptes publics ne trompe pas les organisations syndicales, qui voient dans ce projet de loi « une attaque sans précédent contre le socle qui porte le statut général des fonctionnaires », selon l’expression de Jean-Marc Canon, de la CGT fonction publique (UFSE), le premier syndicat du secteur. « Le statut n’est pas remis en cause, assure Olivier Dussopt, mais il doit être dépoussiéré. » Comme l’État entend toujours supprimer 120 000 postes d’agents publics dans le quinquennat avec « certaines activités (qui) seront externalisées vers le secteur privé », le secrétaire d’État a mis en place les outils pour atteindre son objectif sans jamais en préciser les contours. Une transparence annoncée qui se fera… a posteriori.

La création de la rupture conventionnelle dans le public

Dans sa présentation, Olivier Dussopt a assuré être conscient que « la fonction publique est un engagement », « un engagement personnel au service de l’intérêt général » et qu’« être fonctionnaire a du sens ». Mais, désormais, l’agent doit « s’adapter à l’évolution des nouvelles technologies et aux nouvelles organisations territoriales ». Le secrétaire d’État avoue « s’être inspiré du privé » pour mieux « transformer » la fonction publique, ouvrant plus large le champ des contractuels, créant la rupture conventionnelle dans le public, mais aussi en mettant en place des entretiens d’évaluation professionnelle, une part variable dans les rémunérations, une prime au mérite, un intéressement… Un accompagnement est aussi prévu pour favoriser les départs vers le secteur privé.

Face à ces nouveaux « outils », l’opposition syndicale est unanime. « Le gouvernement décline la loi travail dans le public, s’inspirant des accords réalisés au niveau de l’entreprise en voulant négocier au niveau des territoires », dénonce Bernadette Groison (FSU), quand Christian Grolier (FO) pointe « la création de contrats de mission semblables aux contrats de chantier dans le privé », c’est-à-dire des CDI conclus pour la durée d’une opération précise. Une fois la mission effectuée, le salarié est remercié. « Il existe déjà un million de contractuels et ce n’est pas cela qui fait bien fonctionner les services publics, objecte Bernadette Groison. Nous avons besoin d’équipes stables. Et que signifie une prime au mérite pour un enseignant ou du personnel des urgences hospitalières ? »

Pendant un an, toutes les organisations syndicales ont tenté de convaincre le ministère de la spécificité du public, mais « rien n’a été pris en compte », assure Gaëlle Martinez (Solidaires). « Nous retrouvons le même texte que celui proposé en février 2018 à l’ouverture des concertations ! s’insurge Nathalie Makarski, de la CFE-CGC. Manifester au premier signe de mécontentement ne figure pas dans l’ADN de notre organisation, mais nous ne l’excluons pas aujourd’hui. » Pour promouvoir cette mutation de la fonction publique, le secrétaire d’État a mis au point des « leviers managériaux nouveaux » et la possibilité offerte « aux encadrants » de muter les agents « au fil de l’eau », sans s’encombrer des CAP (commissions administratives paritaires). Olivier Dussopt assure par ailleurs que le projet de loi est encore amendable, donnant plusieurs rendez-vous la semaine prochaine pour affiner les éléments techniques. Mais le calendrier est très serré : moins de quinze jours pour une présentation prévue en Conseil des ministres fin mars. Une mascarade, dénoncent les syndicats, qui se retrouveront tous le 19 février pour passer à l’action.

Kareen Janselme

https://www.humanite.fr/fonction-publique-un-projet-de-loi-inspire-du-prive-impose-marche-forcee-667938

 

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